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Or, quand il examinait un phénomène, le savant du 19 siècle devait
ème
déployer une ingéniosité particulière pour éliminer les éléments non inhé-
rents au processus (c’est-à-dire ce qui en gênait la perception) et pour mieux
en isoler la quintessence. C’est ce que Galilée appelait éliminer les obstacles.
Nous avons vu dans l’exemple du ressort étiré comment, en partant d'un
phénomène réel, on le traitait de manière assez simplifiée pour pouvoir y
appliquer une théorie et des calculs justifiables mathématiquement. Mais
même si les résultats étaient généralement convaincants, ce qui était con-
vaincant n’était pas juste pour autant, c’était seulement convaincant.
La science de l’époque appliquait ainsi une méthodologie conçue pour
que ses résultats ne perdent pas trop leur lien objectif avec le phénomène
réel. Mais dans les faits, les données d’un problème -en particulier les con-
ditions initiales- n’étaient souvent connues et prises en compte que de fa-
çon approchée, et les facteurs n’étaient pas tous sous contrôle. Par consé-
quent la prévision théorique scientifique, et les calculs liés, ne décrivaient
que de façon approximative ce qui avait lieu réellement.
Cette incertitude était prise en compte par les ingénieurs, dont la réus-
site concrète nécessitait un mélange prudent de calculs et d’expérience
pragmatique. La recherche appliquée, et la plupart des ingénieurs, restaient
convaincus que pour l’essentiel les phénomènes naturels pris en compte
étaient régis par des lois fondamentalement simples. Ils se basaient notam-
ment sur un principe largement partagé, qui trouvait même aussi une con-
firmation dans la formulation mathématique, en termes d’équations diffé-
rentielles : le principe de causalité, ou pour utiliser l’expression la plus cou-
rante dans le domaine scientifique, le principe du déterminisme. Ce prin-
cipe découlait à l’origine d’un principe philosophique général selon lequel
tout événement possédait une cause intrinsèque pré-existante.
Les expérimentateurs qui étudiaient la nature selon cette idée cher-
chaient donc les lois générales qui sous-tendaient les phénomènes, et ils
cherchaient une explication des événements en termes de cause à effet.
Croire à l’existence de telles lois était un préalable pour le travail de la
plupart d’entre eux. Dans cet esprit, si un chercheur devait faire de grands
efforts pour ne parvenir à expliquer que des fragments isolés des phéno-
mènes naturels, il pouvait attribuer ceci aux limites de l’esprit humain, et
penser que le monde n’en restait pas moins théoriquement déterminé et
régi par des lois universelles. Le savant français Pierre-Simon de Laplace,
tenant influent de ce point de vue, l’expliquait en recourant à une méta-
phore : il affirmait, après Aristote, que l’état présent de l’Univers était un
effet de son état précédent et la cause de son état suivant.
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