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Cette crise engendra un floutage des certitudes, non seulement pour la
          physique mathématique, et pour l’utilisation des équations différentielles,
          mais même aussi dans le domaine des probabilités. Toutefois, alors que de
          nombreux physiciens se recyclaient dans les nouveaux secteurs de la re-
          cherche quantique, quelques mathématiciens ont pu les accompagner en
          utilisant malgré tout des outils de probabilités. Ce qui favorisa l’activité de
          secteurs innovants, et les discussions sur la définition et le sens de la pro-
          babilité continuèrent à s’enrichir de contributions qui facilitaient une refor-
          mulation de cette théorie dans un nouveau langage, et l’affirmation de sa
          discipline en tant que branche mathématique productive.
             La pertinence de l’outil mathématique classique restait elle aussi en débat,
          accusée de biais conceptuels. Les physiciens-mathématiciens avaient gardé
          longtemps  une  prédilection  pour  les  équations  linéaires,  non  seulement
          parce qu’elles pouvaient être résolues, mais aussi parce que décrire un phé-
          nomène par ce moyen semblait aller dans le sens de la simplicité supposée
          des lois naturelles. Par conséquent, même dans le cas où la description d’un
          phénomène menait, en termes mathématiques, à une équation non linéaire,
          ils linéarisaient le problème, c’est-à-dire qu’ils éliminaient les termes non li-
          néaires,  considérés  comme peu importants pour  comprendre  l’évolution
          d’un phénomène. Cette procédure simplificatrice permettait de calculer sans
          trop perdre le contrôle du problème traité, mais elle restait insuffisante.
             Car c’est dans ces conditions que Poincaré, qui avait consacré sa thèse
          de  doctorat  aux  équations  différentielles,  avait  vainement  cherché  à  ré-
          soudre le problème central de la mécanique céleste newtonienne, appelé
          problème des n corps, qui consistait à déterminer le mouvement de n corps
          sujets à la force d’attraction gravitationnelle. Le cas où n = 2, dit problème
          des deux corps, avait déjà été résolu par Newton selon des méthodes assez
          simples. En revanche, le problème des trois corps (par exemple le système
          Soleil-Terre-Lune) avait résisté à toute tentative de solution pendant envi-
          ron deux siècles. Les équations newtoniennes étant en général non linéaires,
          Poincaré y appliqua une série de nouveaux instruments d’analyse qualitative,
          à la création desquels il avait apporté une contribution fondamentale. Il
          s’agissait de méthodes de type géométrique qui favorisaient l’intuition plus
          que les méthodes abstraites de l’analyse mathématique classique.
             Plus précisément, sur la base des diagrammes de phase, on pouvait pro-
          céder à des considérations de type topologique, permettant de traiter des
          problèmes dans des espaces de dimension supérieure à trois, ce que des
          géomètres avaient commencé à considérer et à étudier à partir de la se-
          conde moitié du 19  siècle.
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