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À première vue, ces espaces semblaient être des objets étranges, et
               leur introduction avait rencontré des résistances, comme cela avait eu lieu
               par le passé pour les nombres imaginaires, qui appartiendront pourtant
               plus tard aux notions de base des mathématiques, au même titre que les
               concepts d’ensemble et de fonction. Pour étudier le problème des trois
               corps, il fallait travailler sur un espace de phases de dimension 18 (neuf
               variables de position + neuf variables de vitesse). Mais Poincaré, étant
               l’un des fondateurs de la topologie, qu’il appelait analysis situs, il l’appli-
               qua tout de même de son mieux à ce problème difficile. En vain, puisque
               ses conclusions, contenues dans un grand traité en trois volumes intitulé
               Les nouvelles méthodes de la mécanique céleste, publié entre 1892 et 1899, fu-
               rent aussi brillantes qu'ambigües, voire décevantes.

                 En effet, il démontrait qu’il était impossible d’obtenir une solution gé-
               nérale exacte au problème des trois corps. Plus encore, tentant d’en inter-
               préter le diagramme des phases, il insistait sur l’intense complexité de la
               situation,  induisant  un  désordre apparent qui  empêchait  d’obtenir une
               description simple et claire du mouvement. C’était la première fois qu’était
               remise en question la simplicité supposée des problèmes mathématisables,
               et l’ordre inhérent aux problèmes décrits par les équations différentielles.
               On devait accepter l’idée d’une complexité présente même dans des sché-
               mas mathématiques qui semblaient simples, et donc accepter l’existence
               d’un chaos intrinsèque, par la difficulté notamment de suivre l’évolution
               d’une trajectoire d’un système dynamique à partir d’un état initial donné.
                 Poincaré ne s’opposait pas à une nouvelle analyse des systèmes dyna-
               miques qui pouvait permettre de traiter aussi les systèmes décrits par des
               équations non linéaires. Mais compte tenu de la perplexité résultant de son
               échec, l’intérêt pour la physique mathématique resta faible dans les pre-
               mières décennies du 20  siècle, au profit de la mécanique quantique, et
                                  ème
               d'études sur les oscillations linéaires (dont l’exemple le plus typique était
               l’oscillateur harmonique) qui prenaient une nouvelle place importante dans
               la physique théorique existante, sans tenir compte des apports de Poincaré.
                 Ceci mobilisait surtout des chercheurs de culture occidentale, car ail-
               leurs, cette physique théorique provoquait une réaction plus réticente, no-
               tamment en Union soviétique, où l’intérêt des mathématiciens et des phy-
               siciens-mathématiciens restait davantage tourné vers la mécanique appli-
               quée, la radiophysique, la théorie des vibrations, et la théorie du contrôle
               et des servomécanismes (mécanismes de contrôle à rétroaction). L’école
               russe, où se distinguait Andrei N. Kolmogorov, jeta même les bases d’une
               intéressante théorie alternative des phénomènes non linéaires.


               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      435
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