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Car là aussi, une tendance probabiliste et statistique s'affirmait.
Quelques savants, notamment Condorcet, proposaient même que le calcul
des probabilités soit un instrument mathématique utilisable pour une étude
encore plus large des phénomènes économiques et sociaux. Selon Condor-
cet, dans la vérification de la légitimité d’une décision votée dans une as-
semblée ou d’un verdict rendu par un jury, entraient en jeu des facteurs
comme la liberté humaine, et non pas des processus d’interaction réduc-
tibles au jeu de particules matérielles suivant les lois aveugles et détermi-
nées de la physique. Il défendait l’idée d’une mathématique d’utilité sociale,
et de là, il considérait que le calcul des probabilités puisse être une branche
des mathématiques ayant un intérêt dans l’organisation sociétale.
Sous de telles influences, l’utilisation des mathématiques s’étendit effec-
tivement à d’autres secteurs scientifiques, jusqu’à la biologie et à la méde-
cine. Car là, le système musculaire et le mouvement du corps pouvaient être
considérés comme relevant de la mécanique, la vision humaine comme re-
levant de l’optique, et l’évolution des populations comme relevant de la dé-
mographie, où le problème de la diffusion de la variole, par exemple, pou-
vait être analysé au moyen d’équations différentielles.
Dans ces nouveaux domaines d’intérêt, ces idées suscitèrent d’abord
du scepticisme. Mais à la fin du 19 ème siècle, Francis Galton (1822-1911)
et Karl Pearson (1857-1936) furent pourtant convaincants quand ils sug-
gérèrent d’appliquer aussi la statistique à l’étude des caractères hérédi-
taires selon les idées de Charles Darwin. Et ils fondèrent une nouvelle
branche d’études, la biométrie, qui joua un rôle important dans l’affirma-
tion des probabilités comme discipline mathématique transversale.
Au cours du 19 ème siècle, les mathématiques s’étaient donc dévelop-
pées dans de nombreuses directions, certaines étant complètement nou-
velles, et parfois en opposition avec les orientations antérieures et tradi-
tionnelles de la pensée mathématique. C'est pourquoi, devant les doutes
et les options alternatives qui subsistaient, des mathématiciens de cette
époque avaient parallèlement mis en chantier un important travail de ré-
vision critique des concepts et des méthodes de leur discipline.
Car pendant que l’édifice des théories mathématiques semblait tou-
jours plus renforcé et digne d’admiration, des certitudes apparentes sur
la vérité des connaissances mathématiques devenaient contestées. Même
certains savants qui avaient d’abord considéré les mathématiques comme
étant en marche triomphale vers des conquêtes de plus en plus impor-
tantes en venaient eux aussi à relativiser leurs certitudes.
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