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Face à ces antinomies qui semblaient miner le fondement de la théorie
               des ensembles, s’affirma alors un nouveau point de vue dit intuitionniste,
               exprimé  par  Henri  Poincaré  (1854-1912)  et  surtout  par  Luitzen  E.J.
               Brouwer (1881-1966). Pour ces intuitionnistes, les paradoxes en question
               étaient associés à des entités mathématiques dont on affirmait l’existence
               parce  qu’elles  étaient  logiquement  possibles,  sans  toutefois  expliquer
               comment elles pouvaient être construites précisément.
                 Les démonstrations d’existence obtenues en montrant que, si nous
               supposions qu’il n’existait pas d’entités jouissant des propriétés requises,
               on parviendrait à une contradiction, n'étaient que des jeux d’esprit. Et ils
               critiquaient l’utilisation abusive, dans la théorie des ensembles, d’un des
               principes de la logique classique, le principe du tiers exclu, selon lequel,
               étant donné une proposition P, ou bien P se vérifiait, ou bien non-P se
               vérifiait.
                 En 1931, Kurt Gödel (1906-1978) porta un coup dur aux tentatives de
               reconstruire les mathématiques sur trop de logique. Ces tentatives visaient
               à établir une structure tellement logique, qu'en partant de quelques prin-
               cipes de base, on parviendrait à une définition des nombres et à la cons-
               truction de l’arithmétique, et on pourrait réécrire toutes les branches des
               mathématiques, de façon parfaitement déductive et sans paradoxes.

                 Gödel, au contraire, démontra que, dans une telle structure logique
               incluant l’arithmétique, il existait toujours des propositions dont on ne
               pouvait décider si elles étaient vraies ou fausses : autrement dit, il existait
               des propositions indécidables. Pour certains mathématiciens, ces résul-
               tats furent la confirmation du point de vue de Brouwer, c’est-à-dire du
               fait que la mathématique ne présupposait pas absolument la logique, et
               que la base de ses concepts et de ses méthodes de démonstration était
               l’intuition, directe ou incidente, débloquant la dialectique. Un groupe ré-
               duit de mathématiciens, dits constructivistes, a élargi cette voie en tentant
               de développer les mathématiques selon les préceptes de Brouwer.

                 Or, pour d'autres mathématiciens, les réflexions de Gödel semblèrent
               tout de même être en contradiction avec la santé, la créativité et les succès
               de leur discipline structurée. Ils n’étaient pas disposés à renoncer à des
               résultats importants, uniquement parce qu’il fallait faire appel à des mé-
               thodes constructivistes, alors que leurs résultats étaient déjà démontrés
               selon les règles communes usuelles de la logique. Ils étaient prêts à se
               conformer à de nouvelles règles pour leur travail futur, mais seulement
               si on pouvait prouver suffisamment leur bien-fondé et leur efficacité.



               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      351
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