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Il semblait superflu et absurde à de nombreux mathématiciens de
vouloir parvenir à une définition des nombres naturels, dont chaque es-
prit humain possédait une intuition claire, ou qui -comme eut l’occasion
de le dire Leopold Kronecker (1823-1891), adversaire de Cantor- étaient
une œuvre présumée divine. D’autres mathématiciens soutenaient, au
contraire, l’importance des concepts abstraits qui permettaient d’exami-
ner d’un point de vue global de nombreux thèmes mathématiques appa-
remment privés de liaison entre eux. Ceci en reconnaissant toutefois l'uti-
lité de resserrer le rapport entre mathématiques et logique, et le fait que
le lien nécessaire entre mathématiques et logique avait déjà pu être validé
dans les mathématiques grecques antiques.
Le problème était qu'au fil du temps, ce lien s’était relâché d’autant
plus que les mathématiciens s’étaient abandonnés à des raisonnements et
à des idées dictés par l’intuition, mais non justifiés assez rigoureusement
ensuite d’un point de vue logique. À la fin du 19 ème siècle, le développe-
ment de la logique mathématique, et l’exigence croissante de réexaminer
rigoureusement les mathématiques, suggérèrent donc l’idée de ramener
les secteurs originels des mathématiques, c’est-à-dire l’arithmétique et la
géométrie, à des concepts logico-mathématiques plus stricts. Gottlob
Frege (1848-1925), Bertrand Russell (1872-1970) et d’autres soutenaient
un tel point de vue, qualifié de logiciste. Le relâchement du rapport tra-
ditionnel entre la vérité mathématique et la certitude intuitive était pour
eux une conséquence d’une abstraction mal structurée. Bientôt, cette po-
sition devint plus argumentable, du fait de la découverte de paradoxes
dans la théorie des ensembles.
Certains de ces paradoxes étaient connus depuis longtemps, même
sous une forme non mathématique. Par exemple, le barbier d’un village
doit raser tous les habitants de ce village qui ne se rasent pas eux-mêmes
et eux seulement : le barbier doit-il se raser lui-même ou non ? Russell
formula donc l’interrogation suivante : l’ensemble A de tous les en-
sembles qui ne sont pas éléments d’eux-mêmes était-il ou non élément
de lui-même ? Dans les deux cas, on pouvait essayer de raisonner en sup-
posant certaine l’une ou l’autre réponse, affirmative ou négative, mais on
parvenait à une contradiction. Par exemple, si A n’est pas élément de lui-
même, en tant qu’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent
pas eux-mêmes comme éléments, il l’est. Et si A est élément de lui-même,
comme il contient seulement les ensembles qui ne se contiennent pas
eux-mêmes, il ne l’est pas. On en déduisait que A était et n'était pas élé-
ment de lui-même, ce qui induisait une contradiction flagrante.
350 Eco-Savoirs pour tous rev.1.4 fr © LEAI Marc CARL