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Car le type de raisonnement utilisé par ses pionniers semblait obscur et
très différent des méthodes de démonstration limpides de la géométrie
classique, à cause notamment des quantités qui, selon les cas, étaient con-
sidérées comme non nulles, ou bien comme négligeables (et donc élimi-
nées). Les quantités infinitésimales étaient appelées ironiquement, par cer-
tains critiques, les quantités disparues. C’est pourquoi, même si les idées de
Newton sur la mécanique étaient liées à ces conceptions novatrices, il n’a
eu prudemment recours qu’aux méthodes et aux raisonnements de la géo-
métrie classique dans son œuvre fondamentale, Philosophiae naturalis princi-
pia mathematica, où il exposait sa théorie de la gravitation universelle.
Pourtant, même si les arguments ne manquaient pas aux critiques, parmi
lesquels George Berkeley, le calcul infinitésimal progressait. Car l’histoire
des mathématiques montre que des mathématiciens, tout en conservant
l’idéal d’une science déductive et exacte, ont souvent développé leurs re-
cherches en suivant leur intuition, ou en suivant une inspiration liée par
exemple à des principes de physique, parfois en se trompant, mais très sou-
vent en obtenant des résultats dont on a démontré l’exactitude par la suite.
D’autres différends ont porté malgré tout, non sur la pertinence, mais
sur les méthodes, du calcul infinitésimal. Barrow (le maître de Newton),
l’italien Cavalieri, et d’autres, préféraient ce qu’on appelait la méthode des
indivisibles, applicable aux mesures des aires et des volumes. Là, en utilisant
la méthode d’exhaustion d’Eudoxe et d’Archimède, le volume d’un solide
était calculé en l’imaginant composé d’une infinité de feuilles très fines, dites
indivisibles (comme l’atome qui était alors le composant indivisible de la
matière). Après calcul des aires de ces feuilles, on disait que leur somme
totale était le volume du solide. L’extrapolation de cette idée mena au con-
cept moderne d’intégrale, dont le symbole introduit par Leibniz exprimait
une notion de somme. Il s’agissait toutefois d’une somme infinie de quan-
tités à la fois évanescentes et non nulles, qui donnaient lieu à des paradoxes
semblables à ceux énoncés par le philosophe grec Zénon d’Elée.
En effet, si on considérait ces quantités comme nulles, la somme de
quantités nulles infinies était de toute façon nulle, tandis que si on les
considérait comme non nulles, cette somme était infinie. Mais Leibniz
recourait avec désinvolture et maestria aussi bien à l’usage des quantités
infinitésimales qu’à celui des indivisibles. Bien que son point de vue soit
plus obscur que celui de Newton, il se révéla efficace sur le plan pratique,
et, par la suite, des développements modernes de ce calcul, même s’ils
étaient conceptuellement plus près de l’approche newtonienne, utilisè-
rent en partie le symbolisme de Leibniz.
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