Page 281 - eco-savoirs pour tous
P. 281
Le fait qu’en 1789, Claude-Louis Berthollet ait démontré que l’acide
sulfhydrique (HS) et l’acide cyanhydrique (HCn) ne contenaient pas
d’oxygène n’avait pas suffi à infirmer cette conviction chez beaucoup de
chimistes, encore trop conformés aux idées de Lavoisier pour que la
théorie sur la nature chimique des acides soit modifiée ipso-facto.
Une autre confirmation des réticences à abandonner les idées du grand
Lavoisier a été donnée en 1809 par Joseph Louis Gay-Lussac (1778-1850).
Ce chimiste français achevait alors de longues études sur l’acide muriatique,
et ses résultats indiquaient clairement qu’il ne s’agissait pas de l’oxyde d’un
élément inexistant, le murium, comme on l’avait cru jusqu’alors, car cet
acide en effet ne contenait pas d’oxygène. Mais Gay-Lussac préféra ne pas
publier sa propre découverte, plutôt que de contredire Lavoisier. C’est l’an-
glais Humphry Davy, en 1810, qui reprendra ces résultats sur la nature non
oxygénée de l’acide muriatique, et qui démontrera que le chlore, contenu
dans l’acide, en était l’agent actif. En 1813, Gay-Lussac ré-analysa l’acide
iodhydrique (HI) et dut reconnaître que Davy avait raison : les acides
n'étaient pas nécessairement des composés oxygénés. La nature chimique
des acides fut de nouveau confirmée, dans les années 1830, par Thomas
Graham et par Justus Liebig. Graham démontra que les acides ortho, pyro
et métaphosphorique, étaient des composés différents, qui contenaient, res-
pectivement, trois, deux, et une molécule d’eau, et que l’eau pouvait y être
remplacée par un nombre correspondant d’équivalents basiques.
Justus Liebig (1803-1873), ayant compris que de nombreux acides or-
ganiques pouvaient se lier à des équivalents basiques, généralisa les résultats
précédents, et en 1838 il élabora sa théorie des acides polybasiques. Les
acides, soutenait-il, étaient des composés hydrogénés, où l’hydrogène pou-
vait y être remplacé par des métaux, pour former des sels. La deuxième
grande erreur de Lavoisier était ainsi corrigée. Mais Lavoisier, malgré ses
lacunes, avait tout de même fait de la chimie une nouvelle science, où il
avait bien démontré l’importance de la méthode quantitative.
Des chimistes théoriciens ont pu ensuite élargir cette voie en y ajou-
tant des processus de mathématisation, comme l’avaient fait les physi-
ciens dans leur propre domaine. C’était d’autant plus aisé que l’outil ma-
thématique utilisé en chimie n’était pas aussi complexe que celui utilisé
en physique. Par exemple, l’une des premières tentatives pour appliquer
des outils mathématiques en chimie théorique s'était portée sur le pro-
blème de la force et de la nature de l’affinité, un problème que Lavoisier
avait laissé ouvert. Qu’est-ce qui poussait certaines substances chimiques à
s’attirer et à réagir ? Et comment cette force pouvait-elle être mesurée ?
Marc CARL Eco-Savoirs pour tous rev.1.4 fr © LEAI 281