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Et les axiomes fondamentaux de la chimie venaient de faits qui pou-
vaient être démontrés par des expériences reproductibles. On trouvait tou-
tefois quelques erreurs dans le Traité. La principale découlait de l’objectif
final que Lavoisier s’était fixé, à savoir faire de la chimie une science aussi
exacte que la physique, et donc éliminer, comme l’avait fait la physique, tout
recours à des forces occultes. Pour cette raison, Lavoisier refusait d’inter-
préter la chaleur comme un mouvement. Il retenait, comme beaucoup de
ses contemporains d’ailleurs, que la chaleur, y compris la chaleur produite
en réaction, et aussi la lumière, étaient des substances matérielles, consti-
tuées chacune de corpuscules, ou d’atomes, très petits et élémentaires.
C’est pour cela que la table des éléments de Lavoisier commençait par
la lumière et la chaleur, qu’il appelait le calorique. Ce calorique pouvant
participer à la fois au phlogistique et aux réactions chimiques, Lavoisier
maintenait seulement que lorsque l’oxygène s’unissait à un métal, il libé-
rait du calorique. Cette façon d’interpréter la nature de la chaleur, et la
conviction que tous les acides contenaient de l’oxygène, furent les deux
erreurs les plus sérieuses du système chimique de Lavoisier. Elles créè-
rent des difficultés aux chimistes pendant une partie du siècle suivant.
Par ailleurs, le fait que Lavoisier s’inspire de Boyle et accepte la théorie
corpusculaire ne le rendait pourtant pas, au sens strict, mécaniste. Au
contraire, il faut éviter l’équivoque qui résulterait d’une conception selon
laquelle Lavoisier réalisait tardivement une conversion à la mécanique.
Et cela parce que, selon ses principes fondamentaux, les éléments chi-
miques n’étaient pas seulement des corpuscules porteurs de mouvement,
ils étaient aussi porteurs de qualités. L’oxygène, par exemple, contenait
intrinsèquement la qualité acide. D’autre part, soutenait Lavoisier, rien
n’interdisait que la subdivision des corpuscules se poursuive à l’infini.
Mais il avertissait que même s’il était possible de subdiviser le corpuscule
à l’infini, celui-ci perdrait alors ses propriétés et ses qualités intrinsèques,
liées à un minimum massique.
Mises à part ces erreurs d’interprétation, de caractère épistémologique,
on peut dire qu’avec la sortie du Traité une révolution avait été accomplie.
Et comme toutes les révolutions, elle suscita des réactions : c’est une rodo-
montade académique, disait Giorgio Santi (1746-1822), professeur à l’uni-
versité de Pise. Mais elle suscita aussi de brillantes conversions, jusqu'à celle
de Santi lui-même, qui ne tarda pas à reconnaître que cette révolution chi-
mique était un torrent impétueux, qui rencontrait des obstacles, certes, mais
qui les surmontait, et qui emportait beaucoup sur son passage.
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