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Cette  théorie  ayant  du succès, cela  empêchait que  ses incohérences
               soient immédiatement reconnues. Personne ne remarquait alors que, lors-
               que le bois brûlait, la cendre que l’on obtenait pesait moins que la substance
               de départ, alors qu’elle fixait, selon la théorie, beaucoup de phlogistique. À
               l’inverse, la calcination des métaux, qui produisait selon Stahl un dégage-
               ment de phlogistique, menait à des produits qui pesaient davantage.
                 Il fallut attendre 1732, et les études quantitatives de Hermann Boer-
               haave (1668-1738), pour que des chimistes ré-étudient expérimentalement
               ces phénomènes et tentent de mieux les théoriser. Mais cette démarche a
               été difficile. Boerhaave lui-même, reprenant une vieille théorie de Boyle,
               soutenait que durant la calcination, les toutes petites particules qui cons-
               tituaient le feu allaient occuper les interstices vides du métal. D’autres chi-
               mistes confondaient le poids et le poids spécifique (volumique) des subs-
               tances, soutenant qu’au fond, un volume de cendre de métal identique à
               celui du métal pesait moins que le métal lui-même, confirmant ainsi la
               théorie du phlogistique. D’autres encore introduisaient l’hypothèse que le
               phlogistique serait doté d’un poids négatif. En fait, aucun de ces chimistes
               ne tenait bien compte des relations quantitatives des phénomènes analy-
               sés, cela au moins jusqu’au moment où ces phénomènes ont été étudiés
               par un chimiste français exceptionnel, Antoine Laurent de Lavoisier.

                 L’époque s’y prêtait. Au cours du 18 ème  siècle, la chimie théorique avait
               encore  des  difficultés à s’affirmer, mais  l’attitude  des  chimistes  envers
               l’étude des phénomènes naturels était devenue plus scientifique, en ce
               sens qu’elle se fondait davantage sur des expériences rigoureuses, et sur
               des observations approfondies, seul moyen qui permettait de parvenir,
               comme le disait Galilée, à des démonstrations certaines.

                 Dans son Dictionnaire de Chimie, rédigé en 1766, Pierre Joseph Macquer
               avait écrit : " la théorie ne peut être utile que si elle naît d’expériences faites,
               et si elle nous indique les expériences à faire. La théorie sans l’expérience
               est toujours une vision trompeuse et mal fondée". Et il ajoutait en complé-
               ment inverse, reprenant presque les mots de Galilée, que "si l’expérience
               n’est pas reliée à une théorie, c’est toujours un tâtonnement aveugle".

                 En bref, plus la chimie adhérait à la méthode galiléenne, et plus elle
               devenait une science fondée sur une conception matérialiste, au point que
               même si au début du 18  siècle certains chimistes pensaient encore que
                                   ème
               des principes abstraits ou immatériels pouvaient contribuer à caractériser
               des éléments chimiques, à la fin du siècle, tous les chimistes pensaient que
               la chaleur et la lumière étaient dotées elles aussi d’une réalité matérielle.


               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      269
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