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Les  métaux,  selon  cet  alchimiste  arabe,  avaient  deux  qualités  exté-
               rieures, et deux qualités intérieures. Par exemple, les qualités extérieures de
               l’or étaient le chaud et l’humide, alors que ses qualités intérieures étaient le
               froid  et  le  sec.  L’argent,  par  contre,  avait  ses  qualités  respectives  dans
               l’ordre inverse. Pour transformer l’argent en or, par conséquent, il suffisait
               d’extérioriser des qualités intérieures, ce qui pouvait se faire au moyen d’un
               élixir, dont Giabir ne donnait pourtant pas beaucoup de précisions.
                 Giabir valorisait le rôle de la balance, et s’approchait ainsi de ce que
               sera l’approche quantitative plus précise de la recherche chimique future ;
               mais il n'allait pas très loin sur cette voie. Sur le plan pratique, l’alchimie
               arabe obtint malgré tout de nombreux succès, avec l’invention de nou-
               velles méthodes expérimentales.
                 On peut y distinguer notamment la distillation à sec, et l’extension du
               nombre de recettes permettant d'obtenir des substances variées, comme
               les esprits qui se volatilisent, les corps métalliques, les pierres, les vitriols,
               le borax et les sels, selon une nomenclature proposée par un autre grand
               alchimiste arabe, Abu Bakr Muhammad ibn Zakariya al-Razi. L’alchimie
               arabe, sur le plan théorique et sur le plan pratique, présentait alors des
               caractères originaux de proto-science.
                 Ailleurs, la situation s'était dégradée. Dans l’Occident chrétien, l’alchi-
               mie avait dégénéré en une pratique quasi-magique, et en Chine, il y avait
               eu une mauvaise confusion entre la chimie et l’alchimie. Au contraire, dans
               le monde arabe, la science alchimique gardait son indépendance vis-à-vis
               des philosophies mystiques. Giabir et al-Razi croyaient peu en la transmu-
               tation, et ils n’en faisaient pas le centre de leur pensée, qui, beaucoup plus
               souvent, se consacrait à la chimie courante des substances naturelles, utili-
               sables en outre, dans certains cas, dans la pratique médicale.
                 À tel point qu’à la fin du 10 ème  siècle, Abu’Ali al-Husain ibn Abdallah
               ibn Sina, connu en Occident sous le nom d’Avicenne (980-1037), grand
               médecin et grand alchimiste, réfuta ouvertement la thèse de la transmu-
               tation, et la tendance aristotélicienne vers une supposée perfection.
                 Les alchimistes, soutenait-il, peuvent obtenir d’excellentes imitations
               de l’or, propres à tromper l’œil le plus expert, mais qui n'étaient que des
               imitations. L’essence naturelle des métaux et des autres substances ne
               variait pas ; le cuivre restait du cuivre, et ne pourrait jamais devenir ni
               s’approcher de l’or. Le scepticisme lucide d’ibn Sina atteignit finalement
               l’Occident chrétien, et y contribua dans une certaine mesure à réorienter
               l’évolution de l’alchimie vers une vraie science, précursive de la chimie.



               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      259
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