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La moitié des chercheurs qui, durant l’été 1989, réalisèrent avec Collins
une expérimentation consacrée au comportement social des fourmis
étaient des informaticiens. Ce qui était logique, dans la mesure où ces in-
sectes sociaux étaient des échantillons idéaux pour comprendre comment
des adaptations et des comportements de grande complexité pouvaient
émerger d’un petit nombre de règles simples, devenues informatisables. En
effet, selon Edward O. Wilson, grand spécialiste mondial des fourmis,
même si le comportement de la colonie était très complexe, le répertoire
comportemental d’une fourmi était beaucoup plus simple, aboutissant se-
lon les espèces en un ensemble de vingt à quarante-cinq actions.
Collins a décidé de décrypter ce processus en créant AntFarm, une gi-
gantesque fourmilière artificielle. Sur un superordinateur, il est parvenu à
simuler les activités de 16.384 sous-colonies, composées de 128 fourmis
chacune. Toutes avaient le même bagage génétique de départ, un pro-
gramme composé de 25.590 bits d’informations, suffisamment pour leur
permettre de voir leur milieu proche, y chercher de la nourriture, la saisir,
libérer des phéromones et flairer ceux des autres fournis, ainsi que s’orien-
ter pour retrouver leur chemin. Chaque fourmi était un point rouge sur la
grille de l’écran, et chaque paquet de nourriture un point vert. Le bagage
génétique comprenait un petit noyau neuronal, qui permettait aux fourmis
d’apprendre, à partir de l’expérience, en améliorant leurs performances de
génération en génération.
À intervalles réguliers, les cyber-fourmis choisissaient une partenaire
parmi celles qui avaient accumulé le plus de nourriture, et se reproduisaient
en brassant leurs bagages génétiques (sans reine commune). Les sous-colo-
nies qui parvenaient à s’emparer du plus de nourriture pouvaient produire
plus de progéniture que les autres. L’espace disponible étant limité, certaines
d’entre elles devaient donc disparaître, par conséquence de leur concurrence.
Quand on observait en activité toute la cyber-fourmilière, on voyait
bien apparaître à l’écran l’évolution des comportements au travail. Au dé-
but, les cyber-fourmis avaient des difficultés à trouver leur nourriture, et
elles ne revenaient chez elles qu’après de longs détours. Mais avec le temps,
une sélection naturelle commençait à améliorer leurs performances.
Les fourmis apprenaient à chercher leur nourriture, à utiliser leurs phé-
romones, à revenir par le chemin le plus court, et le comportement de la
fourmilière -qui n’avait pas de chef d’orchestre et qui fonctionnait sur la
base des quelques règles d’amélioration génétique due à la sélection- deve-
nait plus coordonné et complexe, semblable à celui d’une vraie fourmilière.
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