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Le "bouillon" était le bloc de mémoire dans lequel Ray avait libéré
l’"ancêtre", un programme auto-reproducteur composé de quatre-vingts
instructions. À chaque cycle de réplication, certains organismes fils su-
bissaient de légères modifications fortuites, semblables aux mutations
que pouvait subir l’ADN des organismes vivants à chaque multiplication
cellulaire. Et dans ces conditions, les habitants de Tierra étaient en con-
currence les uns avec les autres pour l’espace commun de mémoire.
Ceux qui parvenaient à disposer du plus de mémoire possible survi-
vaient mieux. Leur évolution étant autonome, Ray ne la dirigeait pas. Son
but était seulement de comprendre si des forces d’évolution darwinienne
étaient en mesure, à elles seules, de donner vie à un écosystème, puis de
le maintenir en fonction. Les résultats ne se firent pas attendre. En l’es-
pace de quelques heures, Ray a pu assister sur l’écran de son ordinateur
à une espèce de big-bang évolutif. De petits parasites composés de qua-
rante-cinq instructions, qui exploitaient les commandes de réplication
des hôtes, furent parmi les premières nouveautés produites par Tierra.
Des organismes plus puissants apprirent à s’en défendre, ce qui donna
lieu à une compétition croissante, d'où émergèrent des prédateurs, blocs
d’instructions capables de s’emparer de tout l’espace de mémoire de leurs
victimes. Et de là, commencèrent des cycles d’abondance de prédateurs
et de proies, comme ceux qui étaient décrits dans les traités d’écologie.
D’autres phénomènes familiers à l’écologiste et à l’évolutionniste eurent
lieu sur Tierra, depuis une exclusion compétitive jusqu’à des extinctions
occasionnelles de masse. Il était fascinant de voir naître spontanément
les mêmes rôles et les mêmes schémas de relations que ceux que l’on
pouvait observer dans un véritable écosystème, et c’était un bon point en
faveur de l’universalité des processus de la vie.
L’exemple de Ray a été suivi par d'autres chercheurs qui ont fait émer-
ger d’autres phénomènes évolutifs. C’est ce que fit en particulier Daniel
Hillis, fondateur d’une grande entreprise productrice de superordinateurs
à architecture parallèle, et formé à l’Artificial Intelligence Laboratory du
Massachusetts Institute of Technology (USA).
À partir d’une grande simulation évolutive menée dans l’une de ses
puissantes machines, ses résultats ont apporté de précieuses informations,
par exemple sur le mécanisme génétique qui pouvait opérer derrière l’évo-
lution d’organes complexes, dus à l’expression d’un grand nombre de
gènes. Un point intéressant était de savoir si la sélection naturelle pouvait
(ou non) éliminer les premières étapes de l’évolution de ces gènes, si elles
ne donnaient à l’individu aucun avantage adaptatif (fitness)?
242 Eco-Savoirs pour tous rev.1.4 fr © LEAI Marc CARL