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Des populations de lemmings subissent tous les 2 ou 3 ans une forte
          croissance suivie d’une migration massive. Durant ces exodes, on a observé
          un comportement apparemment absurde. S’ils rencontrent des étendues
          d’eau, les lemmings ne s’y arrêtent pas mais s’y jettent, et beaucoup s’y
          noient. Une question est de savoir qui est avantagé par ce comportement.
          S’agit-il d’une adaptation ? S’il s’agit de cela, ce n’est certainement pas une
          adaptation qui privilégie l’individu qui se jette dans l’eau. Certains cher-
          cheurs ont pensé que ce suicide collectif pouvait représenter une adapta-
          tion qui favorisait la population dans son ensemble puisqu’elle en diminuait
          le nombre d’individus, rendant les ressources alimentaires plus disponibles.
          La sélection agirait donc là pour le groupe plutôt que pour l’individu.
             Cette vision des choses a été critiquée, mais dans certains cas il semble
          qu’il  puisse  réellement  exister  un  type  de  sélection  naturelle  collective,
          même indirecte, bien que cela ne soit pas la voie principale de l’évolution.
          En  fait,  il  est  ressorti  d’études  approfondies  que  les  lemmings  qui  se
          noyaient n'étaient pas si nombreux que cela, et que leur comportement
          résultait  plutôt  de  réflexes  naturels  d'action  en  groupe.  Effectivement,
          quand la nourriture commence à manquer là où ils sont, vers la fin de l’hi-
          ver, les lemmings partent collectivement en chercher ailleurs, et ils restent
          dans leur dynamique collective sans calculer individuellement à temps le
          danger représenté par les étendues d’eau issues de la fonte des neiges.
             Si le comportement de noyade était consciemment adaptatif, cela signi-
          fierait que chaque lemming qui se noie a des gènes nobles qui le poussent
          à se sacrifier pour le bien du groupe. Supposons que quelques lemmings
          n’aient pas ce gène. Après le plongeon dans l’eau, les lemmings aux gènes
          nobles meurent, tandis que d’autres plus circonspects restent sur les rives
          à regarder mourir leurs compagnons. Ce qui est certain, c’est qu’à la géné-
          ration suivante le gène noble sera présent à une fréquence moindre qu’à la
          génération précédente, et ainsi de suite jusqu’à sa disparition complète.
             Une interprétation alternative niant toute conscience peut même porter
          à considérer les organismes comme de simples récipients de gènes, créés
          par les gènes eux-mêmes pour leur permettre de se répliquer, et qu’ils lais-
          sent mourir après que cette tâche ait été remplie. Mais cette vision géné-
          tique égoïste peut paraître inadaptée pour expliquer d’autres situations où
          l’on voit un comportement apparemment altruiste. Des parents qui ris-
          quent leur vie pour préserver leurs enfants, ou des castes stériles de guêpes,
          d’abeilles, de fourmis, et de termites, qui s’occupent de leurs semblables
          avec altruisme, allant même jusqu’au sacrifice de leur vie, représentent des
          paradoxes apparents en ce qui concerne de tels processus de sélection.


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