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Quel avantage personnel peut tirer une mère en s’exposant au prédateur
               pour éviter que celui-ci ne dévore ses petits, ou même une abeille ouvrière
               qui pique et qui meurt pour défendre sa ruche ? John B.S. Haldane, célèbre
               généticien anglais, a répondu à cela en disant qu’il n’aurait pas sacrifié sa vie
               pour un seul frère, mais qu’il l’aurait fait pour deux frères, ou pour quatre
               cousins. Ce qui signifie que la sélection favorise le comportement altruiste
               lorsque celui-ci concerne des individus qui partagent notre patrimoine hé-
               réditaire et qui nous assurent une descendance et/ou une pérennité.
                 Les abeilles ouvrières sont stériles, mais elles sont sœurs, et même in-
               consciemment, elles doivent se préoccuper de la survie de leur colonie, de
               manière que le réservoir de gènes de cette colonie, en raison de leurs com-
               portements solidaires, soit assez préservé pour maintenir le patrimoine hé-
               réditaire. Avec un frère ou une sœur, nous partageons la moitié de notre
               patrimoine héréditaire, avec un cousin nous en partageons un quart. C’est
               là le sens de l’affirmation de Haldane. Même si les gènes sont les éléments
               de base de la réplication individuelle, il est donc utile d’analyser aussi leur
               rôle dans le cadre des ensembles solidarisés vivants, tout en gardant une
               certaine prudence dans l’appréciation de leur importance à chaque niveau.
               Mais en tous cas, la préservation de l’espèce y reste un élément moteur.
                 Car un gène nu ne peut pas survivre. Il a besoin de conditions de co-
               développement qui lui permettent de se répliquer, de résister aux difficultés
               du milieu, et d’acquérir son indépendance par rapport à ce milieu. La sélec-
               tion agira alors principalement au niveau supérieur d’organisation, c’est-à-
               dire sur l’espèce, dont il faut bien analyser la mécanique évolutive.

                 Et là, outre la co-défense du pool génétique commun, il faut rappeler que
               le cadre initial pour le développement d’une nouvelle espèce est presque tou-
               jours son périmètre reproductif commun. Par conséquent, pour comprendre
               comment deux espèces se forment à partir d’une espèce préexistante, il faut
               comprendre aussi les mécanismes par lesquels se forme une barrière repro-
               ductive, donc génétique, entre l’espèce existante et la nouvelle espèce.

                 Là, comme nous l’avons vu, il y a plusieurs possibilités. La formation
               de deux espèces distinctes peut résulter de nouveaux processus adaptatifs
               entre deux populations isolées du point de vue géographique. Mais une
               nouvelle espèce peut aussi avoir évolué dans des zones contiguës, adja-
               centes à l’espèce ancestrale, ou même à partir d’une population unique,
               d’où les deux espèces divergent par leurs comportements, dans la même
               aire géographique. Ces trois mécanismes sont appelés respectivement spé-
               ciation allopatrique, spéciation parapatrique, et spéciation sympatrique.



               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      111
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