Page 160 - Annales EH 1998-2018
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Pourquoi à l'orée du 21 siècle constate-t-on encore autant de misère dans le
ème
monde alors qu'il y a toutes les capacités technologiques et les compétences pour
produire assez de ressources et de richesses pour tous ? D'évidence, cela découle sur-
tout du fait que les ressources et les richesses sont mal partagées, et que les capacités
de production et de consommation sont mal harmonisées, dans un système écono-
mique injuste, inégalitaire, irrespectueux de l'être humain, fondé notamment sur de
mauvaises pratiques financières.
Un système où les nécessités sont traitées à l'envers: trop de personnes y cher-
chent vainement à travailler, par nécessité, pour gagner de quoi consommer, et pas
assez de personnes peuvent suffisamment y consommer, faute de pouvoir payer.
Or, toutes les personnes ne sont pas -économiquement parlant- nécessairement
productrices, mais toutes sont nécessairement consommatrices. Certains êtres hu-
mains, trop jeunes ou trop vieux, ou handicapés, ou sans qualification adéquate, ne
peuvent pas être producteurs dans de bonnes conditions. Mais n'est pas un problème
pour la société car, sauf accident, la capacité de production humaine moderne n'a pas
besoin du travail de tous pour satisfaire les besoins de développement. Des machines
sont de plus en plus employées et assurent déjà plus de 90% du travail productif mo-
derne. Une partie seulement du potentiel de travail humain est donc utile à la produc-
tion qui alimente la consommation et le développement de toute la société. Mais les
personnes qui ne sont pas mobilisées et payées pour la production des biens et des
services ont autant besoin de consommer que les autres, et peuvent avoir des utilités
très diverses, non nécessairement économiques, mais socialement valables.
Par ailleurs, il est clair que tout l'argent en circulation dans le système économique
ème
en place au début du 21 siècle n'est pas nécessaire à la bonne gestion de la produc-
tion et des échanges d’intérêt général. La plus grande partie de cet argent auto-génère
ses propres revenus indépendamment des équilibres de production et de consomma-
tion de l'économie réelle. Ce qui détruit ou empêche indirectement d'importants
équilibres sociaux, notamment parce que ce système économique, alimenté par du
crédit financier à intérêts ingérables, favorise l'accaparement de ressources au profit
d'une minorité, contre l'intérêt général.
Ceci est rendu possible par un usage abusif de l'argent. Dans ce système, l'argent
est un moyen de paiement, qui sert classiquement d'unité de compte en tant que
monnaie légale, mais aussi de réserve auto-développée de valeur. C’est là, actuelle-
ment, qu’il y a une anomalie, car l'argent ne devrait pas avoir de valeur générée par lui
-même, intrinsèque, et thésaurisable. Sa valeur devrait être la contrepartie équilibrée
de biens ou de services extrinsèques, dans des conditions de comptabilisation non
spéculatives.
C'est fondamental. L'argent ne devrait pas pouvoir porter intrinsèquement de
fruits, d'intérêts, de rémunération, si l'on veut éviter la spéculation et les excès d'une
valorisation auto-développée. Pour avoir une valeur utile à tous et non détournable,
l'argent ne devrait pas pouvoir se négocier comme produit en acquérant une valeur
spéculative. L'argent ne devrait ni s'acheter ni se vendre de manière privée, et n'avoir
qu'une valeur utilitaire limitée. C'est un outil socio-économique public, un moyen
d'échange, pas une fin, et pas un produit marchand.
La consommation de l'humanité étant la principale raison d'être de son organisa-
tion économique, son objectif et sa finalité logiques dans ce domaine, la production
et l'argent n'en sont que des moyens intermédiaires. Cette consommation doit être
nécessairement équitable et équilibrée, accordée aux ressources de l'environnement
naturel, et les moyens qui l'améliorent ne doivent pas devenir une finalité détachée. Il
ne faut pas inverser le bon ordre des choses.
Or, dans une organisation économique abusivement basée sur le développement
des crédits et des dettes, et sur de l'argent fictif et spéculatif, le consommateur de-
vient un objet à exploiter, alors qu'il devrait être un sujet à satisfaire, et la croissance
économique devient une fin en soi. Cette inversion des buts est très dommageable.
Conférence des ONG en statut ONU / Comité du Développement – Genève Rapport introductif RE Marc CARL oct. 2008 page 1