Page 164 - Annales EH 1998-2018
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Or, tout cet argent ne résulte pas d'une production naturelle extraite, ni d'une
production de l'industrie humaine.
C'est un moyen intermédiaire d'échange, représentable désormais par une simple
écriture électronique, qui n'a pas de valeur en tant que telle. Sa valeur apparait ou dis-
parait relativement à la confiance que les utilisateurs placent dans la représentation de
cet argent, tel qu'il est et tel qu'il peut être dans le futur, avec ou sans matérialisation.
Ce qui laisse donc malgré tout entrevoir une solution : si tout ou partie des utilisa-
teurs décide simplement, mais légitimement, de ne plus accorder de confiance à telle
forme d'argent et à tel système monétaire et comptable, insatisfaisants au présent et
au futur, et décide d'en changer ou de ne plus l’utiliser, des comptes financiers con-
testables peuvent être remis à zéro dans beaucoup de domaines, des dettes abusives
peuvent être opportunément effacées.
Les citoyens-utilisateurs sont la clé du changement. Sous leur pression politique,
les banques privées pourraient être remplacées, en ce qui concerne la création et l'ar-
bitrage de l'argent, par des services publics défendant l'intérêt général et la cohésion
sociale, devant organiser des financements sans intérêts pour satisfaire de manière
non spéculative les besoins économiques, garantissant enfin durablement les équi-
libres financiers et socio-économiques les plus favorables à toute la société.
Ceci ne constituerait pas une aventure révolutionnaire, ce serait un simple retour à
une sagesse traditionnelle ancestrale ayant été détournée.
Prêter sans intérêt est une bonne idée, mais ce n'est pas nouveau. Aristote l'avait
ème
préconisé au 4 siècle av-JC. Plus tard, les principales religions ont eu la sagesse de
confirmer le principe salutaire des prêts sans intérêts, et sans usure, pour préserver la
cohésion sociale des peuples. Dans certaines traditions anciennes, on pouvait effacer
ème
des dettes à échéance régulière, environ une fois par génération. Au 14 siècle, le
pape Clément V avait déclaré hérétiques les usuriers et leurs prêts à intérêts.
Mais des financiers de la fin du moyen-âge européen ont ignoré cette sagesse et
ces interdits moraux. Et l'essor socio-économique de la Renaissance ouest-
européenne a amplifié leur activité au fur et à mesure du développement d'une nou-
velle économie particulièrement rapace, qui s'est répandue partout dans le monde,
dans le sillage des conquêtes européennes.
L'appropriation, l'accaparement, et le pillage des richesses de nombreux autres
peuples a permis aux marchands et aux banquiers européens de développer un capi-
talisme spéculatif fondé sur la puissance de l'argent privé, où les financiers ont con-
quis un pouvoir incontournable, qui obligeait même les souverains régnants. Pendant
cinq siècles, d'importantes forces occidentales, industrielles, politiques, et militaires,
ont été mises à contribution pour soutenir un développement économique toujours
croissant dont la finalité était l'enrichissement financier, et plus particulièrement l'en-
richissement maximum des financiers, qui ont ancré leur pouvoir.
A tel point que des lobbies d'affaires occidentaux ont à plusieurs reprises fait voter
des lois qui, dans tel et tel pays, dépossédaient les pouvoirs publics de leur libre dis-
position des instruments monétaires, pour en transférer officiellement la gestion à
des banques, et plus largement à des institutions financières extérieures.
Mais toute résistance n'a pas complètement disparu. Depuis 1979, certaines
banques musulmanes prospères ont notamment recommencé à appliquer leurs pré-
ceptes religieux de prêt sans intérêt, en associant leurs clients aux résultats écono-
miques. Ce qui est un signe encourageant, car ces banques sont restées profitables.
Avant cela, des initiatives avaient fleuri un peu partout dans la société civile occiden-
tale, comme les SEL/LETS, pour échanger des biens et des services locaux avec une
monnaie privée équitable.
Il faut dorénavant aller plus loin et plus fortement, en déterminant de nouveaux
principes fondamentaux applicables à l'ensemble du financement économique et de
la comptabilité monétaire mondiale.
Conférence des ONG en statut ONU / Comité du Développement – Genève Rapport introductif RE Marc CARL oct. 2008 page 5