Page 154 - Annales EH 1998-2018
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Car le problème n’est pas tant que la ressource (nourriture) manque, c’est que les af-
famés ne peuvent plus la payer. Et ils le peuvent d’autant moins que l’aide au déve-
loppement est retenue, et donnée au compte-gouttes sous conditions.
En fait, la capacité productive mondiale est encore globalement suffisante, au point
qu’une partie des surfaces agricoles a été mise en réserve (jachère ou non-production)
ou affectée à des cultures non alimentaires.
Par contre, il y a une rétention calculée dans la production et dans la gestion des
stocks agro-alimentaires mondiaux, de manière que les cours en soient maintenus as-
sez hauts pour être le plus rentables possible. A cela s’ajoutent des jeux de pouvoir
concurrentiels politico-économiques entre certaines nations.
De ces conditions, les prix ont augmenté selon deux tensions conjoncturelles. D’une
part, une demande accrue de pays émergents, qui exportaient jusqu’alors leurs excé-
dents, mais qui ont inversé cette tendance pour satisfaire leur propre consommation
intérieure. Et d’autre part, des investisseurs et des capitaux spéculatifs qui se sont re-
portés sur les matières premières faute de confiance dans les valeurs financières et
économiques dématérialisées.
Avec une tension sur la demande mondiale, les prix montent, et les spéculateurs ga-
gnent encore plus d’argent. Un dernier facteur négatif est l’augmentation des coûts de
transports des matières, due pour bonne part à l’augmentation des cours du pétrole.
A l’autre bout de la chaine, les plus pauvres payent pour ces grandes manœuvres,
…mais ne peuvent plus se payer de quoi manger.
La première solution, la plus immédiate, serait de décourager la spéculation en la ren-
dant moins rentable. Par exemple en débloquant des stocks, en jouant sur des taxes
et des subventions, en mobilisant davantage l’aide au développement.
Une solution plus pérenne serait de revaloriser le statut socio-économique des agri-
culteurs pauvres et de rendre leur activité suffisamment rémunératrice, en leur four-
nissant des moyens adéquats pour produire utilement dans leur environnement local,
puis en garantissant une distribution et un commerce équitable de leur production. Il
faudrait aussi encadrer cela en organisant une autosuffisance agro-alimentaire, locale
et régionale, d’intérêt public, évitant la spécialisation massive et les monocultures spé-
culatives (notamment pour des biofuels).
Il faudrait par ailleurs ne plus nourrir des animaux d’élevage avant les êtres humains.
Plutôt que de consommer des produits animaux qui ont préalablement nécessité la
consommation de beaucoup plus encore de produits végétaux, mieux vaut utiliser di-
rectement la ressource végétale pour l’alimentation humaine lorsqu’on est en pénurie
de produits alimentaires. Mais comment appliquer ces solutions de bon sens?
Le dogmatisme des uns, l’avidité des autres, et la concurrence mondiale généralisée,
empêchent encore trop souvent les solutions raisonnables.
Et l’ONU n’a plus suffisamment la capacité d’arbitrer le développement en faveur
des populations qui en ont le plus besoin. La haute direction administrative de
l’ONU, avec ses divers conseillers, technocrates, et experts, n’a plus assez la
confiance et l’appui des principaux Etats donateurs.
On se souvient des positions de Maurice Strong, le conseiller spécial du Secrétaire
Général de l’ONU Kofi Annan. Ce haut conseiller, qui avait préparé les protocoles
de Rio puis de Kyoto, et qui a été mis en accusation dans des détournements de l’aide
internationale, disait « nous pouvons arriver au point où l’unique manière de sauver le
monde sera que la civilisation industrielle s’effondre ». L’actuel Secrétaire Général
Ban Ki Moon a confirmé fin 2007 que "Notre mission, à Bali et au-delà, sera de
donner forme à la révolution mondiale qui se dessine - d'ouvrir la voie à l'ère de
l'économie verte et du développement vert. " Cela révèle un gros problème.
Conférence des ONG en statut à l’ONU / Comité du Développement – Genève Rapport de relance Marc CARL mai 2008 page 7