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Il remarquait que la science classique avait délaissé le caractère irrégu-
          lier, discontinu et désordonné de la nature, dans ses phénomènes comme
          la mer turbulente, le désordre de l’atmosphère, les variations des popula-
          tions animales, les oscillations du cœur et du cerveau, phénomènes par-
          fois considérés comme des énigmes voire comme des aberrations.

             Effectivement, même la physique des particules, phare de la science au
          20  siècle, avait produit de brillantes théories sur les forces fondamentales
            ème
          de la nature et sur l’origine de l’Univers, mais sans rien dire de vraiment
          intéressant sur certains phénomènes complexes, et sur le monde tel que
          nous le connaissons par l’expérience quotidienne. Selon Gleick, la phy-
          sique théorique avait perdu contact avec la représentation intuitive que les
          Hommes se faisaient du monde, et elle stagnait lorsqu’elle se limitait à dé-
          velopper les conceptions des fondateurs de la relativité et de la mécanique
          quantique, sans produire de nouvelles interprétations véritablement géné-
          ratrices de progrès utile. De nombreux savants ont vu dans cette analyse
          une confirmation de l’impasse déjà évoquée par Poincaré, qui assortissait
          ce qui semblait être le fruit du hasard à une impossibilité de le prévoir.
             Mais d’autres savants y ont vu plutôt une opportunité de relance, en
          considérant la théorie du chaos comme une mini-révolution scientifique,
          même si elle était potentiellement porteuse de difficultés philosophiques,
          et si la découverte de processus imprévisibles sapait les conceptions déter-
          ministes sans compensation. En effet, le chaos pouvait induire que dans
          des systèmes complexes, y compris économiques et biologiques, il existait
          une composante non déterministe, autonome, ingérable dans les modèles
          conçus de façon strictement déterministe, mais sans pouvoir dire jusqu’où
          cela conduirait. C’est donc la modélisation, notamment prospective, de tels
          phénomènes complexes, qui a constitué un défi majeur pour de nombreux
          savants des dernières décennies du 20 ème  siècle.
             Comprenant l'intérêt d'avancer dans ce sens, des mathématiciens ont
          commencé à mettre au point de nouveaux instruments pratiques d’aide à
          l’analyse de la complexité, approfondissant la théorie des jeux (en modélisant
          les situations d’équilibre stratégique et la prise de décisions), ou la théorie des
          catastrophes (en modélisant les phénomènes caractérisés par de brusques
          discontinuités, dans le domaine biologique ou même socio-politique).
             L’instrument central commun de ces recherches a été une informatisa-
          tion croissante, qui a permis de simuler l’évolution des systèmes complexes
          grâce à ses potentialités graphiques et de calcul, augmentées par des tech-
          niques de plus en plus sophistiquées de classement et d’analyse numérique.



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