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Plus l’avion descendait, plus étaient visibles, dans les photographies,
               de nouveaux détails géographiques, baies, promontoires, et caps. La pré-
               cision augmentait encore si l’on mesurait la côte au moyen d’instruments
               de mesure utilisés sur la terre ferme. Un nombre encore plus grand de
               détails était observable dans le parcours (même imaginaire) d’un escargot
               sur la ligne côtière. Ce processus de zoom, d’un point de vue mathéma-
               tique, n'avait pas de fin, et la longueur mesurée croissait sans limites.
                 Selon le point de vue de Mandelbrot, il en ressortait que les formes et
               les systèmes de mesure de la géométrie ordinaire n'étaient pas adaptés
               aux formes et aux distributions irrégulières présentes dans le monde réel.
               Des mathématiciens avaient déjà décrit d’autres figures géométriques, con-
               sidérées d’abord comme monstrueuses ou difformes, mais précursives tout
               de même d’un nouveau type de mesure (la reproduction de la structure à
               des échelles de plus en plus petites) qui intéressait Mandelbrot.
                 Un autre modèle précurseur, qui rappelait celui de la ligne côtière, avait
               été proposé en 1904 par le suédois Helge von Koch (1870-1924). Vue de
               loin, sa figure pouvait  apparaitre  comme un  simple  triangle équilatéral.
               Mais au fur et à mesure qu’on s’en approchait, on pouvait voir que chaque
               côté  du triangle  contenait une petite protubérance, ayant à son  tour la
               forme d’un triangle équilatéral, puis que sur chacun des côtés de ces petits
               triangles se trouvaient des protubérances identiques, et ainsi de suite.
                 On pouvait parvenir ainsi à une figure qui avait l’apparence de ce que
               l’œil humain réussissait à distinguer, alors que mathématiquement le pro-
               cessus pouvait se poursuivre à l’infini, et que la véritable courbe était la
               limite  calculable  de  ce  processus.  Le  périmètre  de  cette  courbe,  dite
               courbe en flocon de neige, était infini. Mais elle avait une particularité
               intéressante : sa représentation structurelle mathématisée.
                 Représentée par une courbe, elle ne pouvait être qu’unidimension-
               nelle. En effet, les lignes de la géométrie classique (droite, ellipse, etc)
               étaient toutes unidimensionnelles. Un petit être vivant au-dessus d’elles
               ne pouvait se mouvoir que dans une seule direction. Un plan ou une
               surface sont en revanche bidimensionnels, puisqu’il existe deux direc-
               tions possibles  de  mouvement  (longitudinalement,  et  en profondeur).
               Mais la véritable courbe, la courbe limite, présentait des dimensions in-
               termédiaires entre l’une et l’autre, c’est-à-dire qu’elle avait une dimension
               fractionnaire. Ce type de figure avait déjà été proposé, au passage du
               19 ème  au 20  siècles, à une période où les mathématiciens menaient de
                        ème
               nombreuses réflexions sur les fondements logiques de leur discipline.


               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      445
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