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Dans tous les cas, le monde de la matière brute (celui des cailloux, des
               mers, du feu, de l’air) était un monde de niveau inférieur, où la substance
               était à un niveau de complexité minimale, et où les tendances et les change-
               ments étaient banals, s’agissant principalement de changements de lieu.
                 Bref, le mouvement local ne méritait pas, du point de vue aristotélicien,
               une attention approfondie, et ne valait pas la peine d’y affecter une science.
               Et puisque, pour Aristote, la physique représentait la nature dans son en-
               semble, il proposait une philosophie de la nature dans laquelle il n’y avait
               pas de sens à essayer de spécialiser les disciplines scientifiques.

                 Il est important toutefois de souligner, dans cette conception globale et
               unitaire, holiste, quelques considérations relatives au mouvement local in-
               fériorisé des corps, car c’est sur cela que se concentrera l’attention polé-
               mique des physiciens ultérieurs. Ils remarqueront en particulier dans un
               passage de la Physique : "nous voyons que les corps se meuvent plus rapi-
               dement pour deux causes, soit parce que l’élément à travers lequel passe
               l’objet est différent (par exemple, s’il passe à travers l’eau, ou bien à travers
               l’air), soit parce que l’objet déplacé -si les autres facteurs sont les mêmes-
               diffère par excès de poids ou de légèreté".
                 Aristote décrivait là quelque chose d’évident pour le sens commun de
               son époque. En matière de projectiles, c’est-à-dire d’objets lancés, il sem-
               blait évident que la vitesse du projectile, à effort de lancer égal, serait d’au-
               tant plus grande que le milieu traversé serait moins dense (une balle de golf
               irait plus lentement à travers l’eau qu’à travers l’air), et serait d’autant plus
               grande en outre que le projectile serait plus dense (une balle de ping-pong
               va plus lentement qu’une balle de golf). Puisque le milieu exercerait de toute
               façon une résistance, peu à peu le mouvement naturel vers le bas tendrait à
               prévaloir. Mais comment le caillou faisait-il pour se mouvoir d’une manière
               différente de celle du mouvement naturel, quand il avait quitté la main qui
               l’avait lancé ? Son mouvement devait avoir une cause externe.
                 Aristote imagina que cette cause externe devait être recherchée dans le
               milieu (dans ce cas, l’air) où le caillou se mouvait. L’air, tendant à occuper à
               nouveau immédiatement l’espace vide que le caillou laissait derrière lui pen-
               dant son déplacement, finissait par le pousser plus encore en avant. La con-
               clusion qu’Aristote tirait de cette vision paraît sensée. Si nous pensons que
               la vitesse du projectile est inversement proportionnelle à la densité du milieu
               qu’il doit traverser, alors, dans le vide où la densité est nulle, la vitesse du
               projectile devrait être infinie. Mais à l’époque, et selon la pensée d’Aristote,
               le vide ne pouvait conceptuellement pas exister. D'où les critiques susvisées.


               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      365
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