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Car l’intuition seule pouvait dans certains cas induire en erreur, ou four-
nir un ensemble de données si confus que l’on ne puisse en tirer aucune
conclusion utile. Ainsi, même si Euclide présentait prudemment ses pos-
tulats comme des hypothèses qu’il fallait accepter comme vraies pour rai-
sonner, pendant plusieurs siècles les quatre premiers postulats ont été con-
sidérés comme des évidences vérifiables dans la réalité physique. Mais le
cinquième postulat a laissé longtemps perplexes les mathématiciens, qui
ont cherché à l’éliminer ou à l’interpréter en se servant des quatre autres.
Ce problème a été appelé postulat des parallèles, parce que, entre autres
conséquences, il permettait de démontrer que, étant donnée une droite sur
un plan, par tout point extérieur à cette droite, on pouvait tracer une seule
droite parallèle. Au 19 siècle, toutefois, on découvrit qu’Euclide avait eu
ème
raison de considérer cela comme un postulat, parce qu’il était possible de
construire un édifice géométrique abstrait qui satisfasse aux autres hypo-
thèses sans tenir compte du cinquième postulat. Cette découverte mit fin
à la conviction que la seule géométrie possible était celle d’Euclide, et in-
firma l’assurance conceptuelle qui portait à croire que la structure réelle du
monde physique était celle décrite par la seule géométrie euclidienne.
Quoi qu’il en soit, les quatre premiers livres des Éléments, consacrés à
la géométrie plane, énonçaient et démontraient bien les propriétés fonda-
mentales des figures rectilignes et des cercles. La droite et le cercle étaient,
pour Euclide, des figures de base de toutes les constructions géométriques.
Par conséquent, ces constructions pouvaient être tracées et pré-visualisées
simplement sur un support graphique avec une règle et un compas. Dans
le cinquième livre, le plus complexe, Euclide développait une théorie des
proportions qui visait à améliorer la mesure en géométrie, et sa représen-
tation conceptuelle. En effet, mesurer un segment de droite signifiait le
comparer, le mettre en rapport avec un segment qui était considéré comme
référence, ou comme unité. Et cela valait également pour les autres gran-
deurs, aires, volumes, angles, poids, intervalles de temps. Il s’agissait d’une
théorie qui joua dans les mathématiques grecques le rôle que jouera, dans
les mathématiques modernes, l’ensemble des nombres réels.
Toutefois, Euclide n’y utilisait ni nombres ni notions arithmétiques,
et son argumentation se développait dialectiquement, par des mots. Elle
apparaît donc différente de celles qui rempliront les livres modernes de
mathématiques, où l’on a continuellement recours à des symboles et à
des formules. La théorie des proportions s’appliquait en particulier aux
problèmes de similitude des figures, qui seront repris dans le livre VI.
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