Page 317 - eco-savoirs pour tous
P. 317

Car l’intuition seule pouvait dans certains cas induire en erreur, ou four-
               nir un ensemble de données si confus que l’on ne puisse en tirer aucune
               conclusion utile. Ainsi, même si Euclide présentait prudemment ses pos-
               tulats comme des hypothèses qu’il fallait accepter comme vraies pour rai-
               sonner, pendant plusieurs siècles les quatre premiers postulats ont été con-
               sidérés comme des évidences vérifiables dans la réalité physique. Mais le
               cinquième postulat a laissé longtemps perplexes les mathématiciens, qui
               ont cherché à l’éliminer ou à l’interpréter en se servant des quatre autres.
                 Ce problème a été appelé postulat des parallèles, parce que, entre autres
               conséquences, il permettait de démontrer que, étant donnée une droite sur
               un plan, par tout point extérieur à cette droite, on pouvait tracer une seule
               droite parallèle. Au 19  siècle, toutefois, on découvrit qu’Euclide avait eu
                                 ème
               raison de considérer cela comme un postulat, parce qu’il était possible de
               construire un édifice géométrique abstrait qui satisfasse aux autres hypo-
               thèses sans tenir compte du cinquième postulat. Cette découverte mit fin
               à la conviction que la seule géométrie possible était celle d’Euclide, et in-
               firma l’assurance conceptuelle qui portait à croire que la structure réelle du
               monde physique était celle décrite par la seule géométrie euclidienne.

                 Quoi qu’il en soit, les quatre premiers livres des Éléments, consacrés à
               la géométrie plane, énonçaient et démontraient bien les propriétés fonda-
               mentales des figures rectilignes et des cercles. La droite et le cercle étaient,
               pour Euclide, des figures de base de toutes les constructions géométriques.
               Par conséquent, ces constructions pouvaient être tracées et pré-visualisées
               simplement sur un support graphique avec une règle et un compas. Dans
               le cinquième livre, le plus complexe, Euclide développait une théorie des
               proportions qui visait à améliorer la mesure en géométrie, et sa représen-
               tation conceptuelle. En effet, mesurer un segment de droite signifiait le
               comparer, le mettre en rapport avec un segment qui était considéré comme
               référence, ou comme unité. Et cela valait également pour les autres gran-
               deurs, aires, volumes, angles, poids, intervalles de temps. Il s’agissait d’une
               théorie qui joua dans les mathématiques grecques le rôle que jouera, dans
               les mathématiques modernes, l’ensemble des nombres réels.
                 Toutefois, Euclide n’y utilisait ni nombres ni notions arithmétiques,
               et son argumentation se développait dialectiquement, par des mots. Elle
               apparaît donc différente de celles qui rempliront les livres modernes de
               mathématiques, où l’on a continuellement recours à des symboles et à
               des formules. La théorie des proportions s’appliquait en particulier aux
               problèmes de similitude des figures, qui seront repris dans le livre VI.



               Marc CARL                    Eco-Savoirs pour tous    rev.1.4 fr         © LEAI      317
   312   313   314   315   316   317   318   319   320   321   322