Page 148 - Annales EH 1998-2018
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On constate depuis quelque temps un tassement, un désintérêt, de certaines ONG
                             membres de la Conférence des ONG pour leur participation aux activités relatives au
                             développement mondial.
                             Est-ce à cause  de  la mode  verte éphémère de la décroissance industrielle ? Est-ce
                             parce qu’une désinformation fausse les repères, floute les véritables nécessités, dé-
                             mobilise les engagements ? Est-ce parce que les ONG pensent que de toutes ma-
                             nières, politiquement, les jeux sont faits, et qu’elles n’ont pas les moyens d’influer
                             suffisamment sur l’action des Etats ? C’est vrai dans plusieurs domaines. Mais il reste
                             encore  beaucoup  de  choses  importantes  à  faire  pour  améliorer  le  développement
                             mondial là où c’est utile.
                             Il faut d’abord pour cela se re-situer dans le système de l’ONU et par rapport à ce
                             système. Il faut se re-situer aussi par rapport aux principaux problèmes mondiaux. Et
                             il faut en tirer des perspectives et des objectifs nouveaux, adaptés aux enjeux et aux
                             risques réels du monde actuel. Commençons donc par faire un point sur les change-
                             ments mondiaux particulièrement impliquants des dernières décennies.
                             Nous savons qu’en 1945, l’ONU avait été créée en remplacement de la Société des
                             Nations, pour reconstruire les relations internationales après les dégâts et les chan-
                             gements de la seconde guerre mondiale. La nouvelle Organisation avait été instituée
                             dans un souci de souveraineté absolue des Etats. Mais malgré tout, cette souveraineté
                             est redevenue de plus en plus aléatoire, certains Etats empiétant délibérément sur la
                             souveraineté des autres, et de nouvelles entités se créant en dehors du cadre des Etats
                             souverains, comme avant 1945. La représentativité des Etats a également évolué. De
                             plus en plus de domaines échappent à l’autorité effective des gouvernements et des
                             Etats, qui essaient de maintenir un dirigisme tutélaire sans assurer en contrepartie une
                             sécurité suffisante, ni chez eux, ni entre eux, ni à travers l’ONU, ni mondialement.
                             Enfin, il y a un manque de consensus dans l’exemplarité des modèles de développe-
                             ment. Aucun exemple ne satisfait au niveau mondial. Les USA ont leurs références,
                             les Européens ont les leurs, les Chinois ont les leurs, les Russes ont les leurs, etc.
                             Le seul dénominateur commun qui continue à relier tout le monde malgré tout, c’est
                             l’argent. D’un bout à l’autre de la planète, on mobilise et on accumule de l’argent tant
                             qu’on le peut, par tous les moyens. La masse monétaire mondiale s’augmente artifi-
                             ciellement  d’environ  10%  par  année,  au  fur  et  à  mesure  que  les  grandes  banques
                             créent librement de l'argent pour soutenir l'économie financiarisée.
                             Avec  cet  afflux  de  cash, les mouvements spéculatifs atteignent environ  1.600  mil-
                             liards de dollars par jour. Et des réserves de capitaux s’accroissent : des fonds publics
                             et privés disposaient d’environ 3 mille milliards de dollars investissables en 2007. Seu-
                             lement 1% ou 2% de cette montagne de cash spéculatif suffirait à l’ONU et à ses or-
                             ganes pour réaliser leurs principaux objectifs de développement mondial, pour résor-
                             ber la famine, la mauvaise hygiène, les épidémies, pour améliorer la paix.
                             Mais cela ne se fait pas. Sans solidarité, dans une concurrence permanente, cet argent
                             profite presque exclusivement aux plus riches plutôt qu’à ceux qui en auraient le plus
                             besoin,  c'est-à-dire  aux  plus  pauvres.  Faire  de  l’argent  spéculatif  à  court  terme
                             n’améliore pas la fragilité des économies et des Etats, au contraire. Les inégalités et
                             les injustices deviennent insupportables, et la situation sociétale mondiale est dange-
                             reusement instable.

                             Sans  modèle  de  développement  suffisamment  consensuel  et  satisfaisant,  dans  un
                             contexte de concurrence généralisée, exacerbé par des tensions culturelles, et dispo-
                             sant de technologies de combat de plus en plus massivement destructrices, la com-
                             munauté humaine mondiale du 21ème siècle s’est ainsi placée dans une situation cri-
                             tique. D’autant plus que ses organes régulateurs internationaux sont devenus inadap-
                             tés, inefficaces, ou décrédibilisés.



                  Conférence des ONG en statut à l’ONU /  Comité du Développement – Genève    Rapport de relance     Marc CARL    mai 2008        page 1
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